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Moi, je pensais qu il allait s écrouler brusquement, ouvert de
la tête au nombril, mais il me répétait, les yeux fixes :
« C est la pompe de secours !& »
Moi, je pensais le voilà fou, il va danser&
Mais, détournant enfin son regard de l avion qui, désormais,
était sauvé du feu, il me regarda et reprit :
« Ce n est rien, c est la pompe de secours qui m a accroché au
genou. »
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III
Il est inexplicable que nous soyons vivants. Je remonte, ma
lampe électrique à la main, les traces de l avion sur le sol. À deux
cent cinquante mètres de son point d arrêt nous retrouvons déjà
des ferrailles tordues et des tôles dont, tout le long de son
parcours, il a éclaboussé le sable. Nous saurons, quand viendra le
jour, que nous avons tamponné presque tangentiellement une
pente douce au sommet d un plateau désert. Au point d impact un
trou dans le sable ressemble à celui d un soc de charrue.
L avion, sans culbuter, a fait son chemin sur le ventre avec
une colère et des mouvements de queue de reptile. À deux cent
soixante-dix kilomètres-heure il a rampé. Nous devons sans
doute notre vie à ces pierres noires et rondes, qui roulent
librement sur le sable et qui ont formé plateau à billes.
Prévot débranche les accumulateurs pour éviter un incendie
tardif par court-circuit. Je me suis adossé au moteur et je
réfléchis : j ai pu subir, en altitude, pendant quatre heures quinze,
un vent de cinquante kilomètres-heure, j étais en effet secoué.
Mais, s il a varié depuis les prévisions, j ignore tout de la direction
qu il a prise. Je me situe donc dans un carré de quatre cents
kilomètres de côté.
Prévot vient s asseoir à côté de moi, et il me dit :
« C est extraordinaire d être vivants& »
Je ne lui réponds rien et je n éprouve aucune joie. Il m est
venu une petite idée qui fait son chemin dans ma tête et me
tourmente déjà légèrement.
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Je prie Prévot d allumer sa lampe pour former repère, et je
m en vais droit devant moi, ma lampe électrique à la main. Avec
attention je regarde le sol. J avance lentement, je fais un large
demi-cercle, je change plusieurs fois d orientation. Je fouille
toujours le sol comme si je cherchais une bague égarée. Tout à
l heure ainsi je cherchais la braise. J avance toujours dans
l obscurité, penché sur le disque blanc que je promène. C est bien
ça& c est bien ça& Je remonte lentement vers l avion. Je m assois
près de la cabine et je médite. Je cherchais une raison d espérer et
ne l ai point trouvée. Je cherchais un signe offert par la vie, et la
vie ne m a point fait signe.
« Prévot, je n ai pas vu un seul brin d herbe& »
Prévot se tait, je ne sais pas s il m a compris. Nous en
reparlerons au lever du rideau, quand viendra le jour. J éprouve
seulement une grande lassitude, je pense : « À quatre cents
kilomètres près, dans le désert !& » Soudain je saute sur mes
pieds :
« L eau ! »
Réservoirs d essence, réservoirs d huile sont crevés. Nos
réserves d eau le sont aussi. Le sable a tout bu. Nous retrouvons
un demi-litre de café au fond d un thermos pulvérisé, un quart de
litre de vin blanc au fond d un autre. Nous filtrons ces liquides et
nous les mélangeons. Nous retrouvons aussi un peu de raisin et
une orange. Mais je calcule : « En cinq heures de marche, sous le
soleil, dans le désert, on épuise ça& »
Nous nous installons dans la cabine pour attendre le jour. Je
m allonge, je vais dormir. Je fais en m endormant le bilan de
notre aventure : nous ignorons tout de notre position. Nous
n avons pas un litre de liquide. Si nous sommes situés à peu près
sur la ligne droite, on nous retrouvera en huit jours, nous ne
pouvons guère espérer mieux, et il sera trop tard. Si nous avons
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dérivé en travers, on nous trouvera en six mois. Il ne faut pas
compter sur les avions : ils nous rechercheront sur trois mille
kilomètres.
« Ah ! c est dommage& , me dit Prévot.
 Pourquoi ?
 On pouvait si bien en finir d un coup !& »
Mais il ne faut pas abdiquer si vite. Prévot et moi nous nous
ressaisissons. Il ne faut pas perdre la chance, aussi faible qu elle
soit, d un sauvetage miraculeux par voie des airs. Il ne faut pas,
non plus, rester sur place, et manquer peut-être l oasis proche.
Nous marcherons aujourd hui tout le jour. Et nous reviendrons à
notre appareil. Et nous inscrirons, avant de partir, notre
programme en grandes majuscules sur le sable.
Je me suis donc roulé en boule et je vais dormir jusqu à
l aube. Et je suis très heureux de m endormir. Ma fatigue
m enveloppe d une multiple présence. Je ne suis pas seul dans le
désert, mon demi-sommeil est peuplé de voix, de souvenirs et de
confidences chuchotées. Je n ai pas soif encore, je me sens bien,
je me livre au sommeil comme à l aventure. La réalité perd du
terrain devant le rêve&
Ah ! ce fut bien différent quand vint le jour !
IV
J ai beaucoup aimé le Sahara. J ai passé des nuits en
dissidence. Je me suis réveillé dans cette étendue blonde où le
vent a marqué sa houle comme sur la mer. J y ai attendu des
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secours en dormant sous mon aile, mais ce n était point
comparable.
Nous marchons au versant de collines courbes. Le sol est
composé de sable entièrement recouvert d une seule couche de
cailloux brillants et noirs. On dirait des écailles de métal, et tous
les dômes qui nous entourent brillent comme des armures. Nous
sommes tombés dans un monde minéral. Nous sommes enfermés
dans un paysage de fer.
La première crête franchie, plus loin s annonce une autre
crête semblable, brillante et noire. Nous marchons en raclant la
terre de nos pieds, pour inscrire un fil conducteur, afin de revenir
plus tard. Nous avançons face au soleil. C est contre toute logique
que j ai décidé de faire du plein est, car tout m incite à croire que
j ai franchi le Nil : la météo, mon temps de vol. Mais j ai fait une
courte tentative vers l ouest et j ai éprouvé un malaise que je ne
me suis point expliqué, j ai alors remis l ouest à demain. Et j ai
provisoirement sacrifié le nord qui cependant mène à la mer.
Trois jours plus tard, quand nous déciderons, dans un demi-
délire, d abandonner définitivement notre appareil et de marcher
droit devant nous jusqu à la chute, c est encore vers l est que nous
partirons. Plus exactement vers l est-nord-est. Et ceci encore
contre toute raison, de même que contre tout espoir. Et nous
découvrirons, une fois sauvés, qu aucune autre direction ne nous
eût permis de revenir, car vers le nord, trop épuisés, nous
n eussions pas non plus atteint la mer. Aussi absurde que cela me
paraisse, il me semble aujourd hui que, faute d aucune indication
qui pût peser sur notre choix, j ai choisi cette direction pour la
seule raison qu elle avait sauvé mon ami Guillaumet dans les
Andes, où je l ai tant cherché. Elle était devenue, pour moi,
confusément, la direction de la vie.
Après cinq heures de marche le paysage change. Une rivière
de sable semble couler dans une vallée et nous empruntons ce
fond de vallée. Nous marchons à grands pas, il nous faut aller le
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plus loin possible et revenir avant la nuit, si nous n avons rien
découvert. Et tout à coup je stoppe :
« Prévot.
 Quoi ?
 Les traces& »
Depuis combien de temps avons-nous oublié de laisser
derrière nous un sillage ? Si nous ne le retrouvons pas, c'est la
mort.
Nous faisons demi-tour, mais en obliquant sur la droite.
Lorsque nous serons assez loin, nous virerons
perpendiculairement à notre direction première, et nous
recouperons nos traces, là où nous les marquions encore. [ Pobierz caÅ‚ość w formacie PDF ]

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